Martial

MartialNé à La Roche-sur-Yon, le 19 février 1925, Martial Durand était surtout connu pour sa série familiale et humoristique « Sylvie », publiée dans l’hebdomadaire féminin Bonnes soirées, ou pour son drolatique « Tony Laflamme », seul soldat de la principauté de la Daltonie qui fit les beaux jours de Pilote. Sa longue et prolifique carrière lui permit de créer de nombreux personnages, dans le seul but de distraire le public. Même s’il n’a pas été assez reconnu par les spécialistes du secteur, il n’en demeure pas moins que son œuvre importante mérite de trouver une bonne place au panthéon du 9e art. En 1934, après de multiples pérégrinations, sa famille s’installe à Paris où il passe le reste de son enfance, bercé par la lecture des « illustrés » de l’époque. Il poursuit ses études aux Arts appliqués où il apprend l’orfèvrerie. Un accident lui vaut un long séjour à l’hôpital : obligé de rester allongé pendant près de dix mois, il se met à dessiner des gags avec légendes, pour passer le temps. À la Libération, la nécessité de gagner sa vie le pousse à continuer dans cette voie et ses dessins sont publiés dans des journaux comme Ici Paris, Samedi soir, La Presse, La France au combat, Le Hérisson, Marius… Son style, surtout influencé par Albert Dubout ou Erik, prend rapidement une tournure semi-réaliste et il s’essaie à la bande dessinée. Étant donné, qu’à cette époque, les histoires sont encore à suivre, il a ainsi la certitude d’avoir du travail pour plusieurs mois. Le bimensuel Jeune gars, édité pour les jeunes apprentis de la J.O.C., publie ses premières BD : « Dynamitt, le sensible de l‘occiput » en 1946 et « Les Aventures de Riton » en 1947. Après avoir peint des miniatures en série pour un fabricant d’articles parisien et tenté, sans succès, d’entrer au studio de dessins animés de Paul Grimault, il se présente ensuite chez d‘autres éditeurs éditant de la bande dessinée pour la jeunesse. Il collabore ainsi au magazine Zorro où, en 1947, il réalise « Les Quatre Mousquetaires », puis « Arthur et Goupillon » en 1950. En 1947, Martial collabore aussi à l’éphémère O.K (aux côtés de Jean Ache, Erik, Raymond Poïvet et Albert Uderzo qui devient l’un de ses bons copains) avec « Monsieur O.K », « Corail et Tupozpeu » et « Youmbo, fakir birman ». À la même époque, il travaille pour Supplément Vaillant ou 34 (« Capitaine Bourlingo », en 1948, puis de 1950 à 1951), Cœurs vaillants (« Jeannot et Glou Glou », en 1949) et les éditions Fleurus (« Nestor et Nénette »), Le Petit canard de Jean Nohain (« Tafia le marin » ou « Le Distingué Professeur Mollusc et Burett le robot », en 1949), Fripounet et Marisette (« Souricette », en 1952)… Son ami Uderzo le fait ensuite entrer à la World’s Presse de Georges Troisfontaines où travaillent Jean-Michel Charlier, Victor Hubinon, Eddy Paape, MiTacq, Dino Attanasio, René Goscinny… Pour cette agence, il dessine diverses séries : « Alain et Christine » (sur scénarios de Goscinny ou Charlier, puis de Greg) et « Fifi et Fifille » (gags en une planche) dans La Libre junior, de « Belles Histoires de l’Oncle Paul (scénarisées par Octave Joly, entre 1957 et 1961) (2) où il adopte un style réaliste sous le pseudonyme de Benoît Laroche dans Spirou, des gags en strips d’« Isidore » dans un journal flamand et, surtout, la chronique quotidienne d’une famille dans « Sylvie » (dont les premiers gags sont de Goscinny ou de Charlier) pour Bonnes soirées. Ce personnage publié pour la première fois le 26 octobre 1952 (au n° 1603) lui vaudra un succès phénoménal, cette revue destinée à un public féminin étant alors tirée à un million d’exemplaires : ce qui laisse présumer d’au moins trois millions de lecteurs. « Sylvie » va être publiée dans Bonnes soirées jusqu’au 13 avril 1994 (au n° 3766) : soit pendant quarante-deux ans, malgré quelques interruptions. Cette série de gags, témoin du quotidien de notre monde contemporain, a aussi été reprise dans divers pays et a eu droit aussi à une version en strips dans le quotidien régional La République de Seine-et-Marne. Curieusement, il n’existe que quelques rares albums publiés chez Jean-André Buse (en 1964 et 1965) — sans que l’auteur soit prévenu —, par Martial lui-même (en 1981 et 1982), par les éditions Hélyode (1992) ou, à très peu d’exemplaires, par l’association Regards (entre 2000 et 2013). Lorsque Goscinny, Charlier, Uderzo et Jean Hébrard créent l’agence parisienne ÉdiFrance qui va assurer la rédaction du journal publicitaire Pistolin, ils font appel à Martial pour renforcer leur équipe. Il se voit confier les déboires de « Rosine » (et de son démon de petit frère) qu’il dessine de 1955 à 1958 sur des scénarios de Charlier. Cette série sera reprise dans divers suppléments pour enfants de quotidiens et, un peu plus tard (en 1960), dans Pilote, sous le titre de « Poum et Rosine ». Après un détour chez Marijac (« Riri » dans Nano et Nanette, en 1959), il retrouve l’équipe d’ÉdiFrance. Ces deniers viennent de lancer un journal qui va bouleverser le monde de la bande dessinée : Pilote. Il commence par y livrer les récits complets des « Divagations de Monsieur Sait-Tout » écrits par Goscinny (entre 1961 et 1963, compilés dans un album Dargaud, en 1974 et en 1982) ou de « Jérôme Bluff » dont il signe aussi les scénarios (un album a été publié par l’ABDL, en 2006, et au Coffre à BD, en 2012). Charlier et Goscinny étant nommés responsables du nouveau Record des éditions de la Bonne Presse (futures Bayard), il participe aux premiers numéros (entre 1962 et 1964) en remettant en scène « Captain Tafia » ou illustrant des contes et nouvelles. À noter que ce marin de Tafia était déjà apparu dans Le Petit canard de Jean Nohain en 1949 et dans une aventure en trois pages publiées dans un Spirou poche, en 1957. C’est encore dans Pilote qu’il imagine son autre personnage le plus important de sa prolifique carrière : « Tony Laflamme », publié à partir du n° 198 de 1963. Cette excellente série va durer jusqu’en 1971, même si sa publication en album par Dargaud (éditeur de Pilote) devra attendre 1974 et 1975, alors que cette bande était depuis longtemps mise sur la touche dans ce magazine devenu mensuel. Quelques épisodes seront réédités dans le Tintin français en 1973 et 1974, ainsi que par Hubert Holle et l’ABDL qui en proposera de beaux tirages noir et blanc très grand format, hélas tirés à seulement quelques dizaines d’exemplaires. Aujourd’hui, les éditions du Taupinambour et son diffuseur Le Coffre à BD sont les seuls à avoir cette série (et Martial) à leur catalogue, avec deux albums reprenant quatre épisodes mythiques, dont le célèbre « Monstre du Volapük » publié en 1965. Martial multiplie alors les récits complets (on lui doit aussi un scénario pour une histoire courte de « Buck Gallo » dessinée par Mic Delinx dans le trimestriel Super Pocket Pilote, en 1969) et s’adapte aux changements de politique éditoriale de Pilote en participant régulièrement aux pages d’actualité : son dessin très lisible y fait d’ailleurs merveille (de 1964 à 1974). En 1967, à la demande du rédacteur du journal Jeunes Agriculteurs, il crée « La Famille Bottafoin » : une série de gags mettant en scène un couple de jeunes exploitants agricoles qui se réfugiera dans les pages de Pilote, dès l’année suivante, évoluant vers un humour plus adulte. L’intégralité des gags a été reprise dans un album de l’ABDL en 1988 (préfacé par Jean-Michel Charlier) et réédité, à très peu d’exemplaires, en 2009. Depuis 2012, Le Coffre à BD a entreprit de rééditer la série (un seul album paru, pour le moment). Pilote devenu mensuel et destiné exclusivement aux adultes, Martial tente de se recycler, en 1974, dans un autre magazine des éditions Dargaud : l’éphémère Lucky Luke, dirigé par Claude Moliterni, avec les amusants « Dom Félix agent secret » et « Pillule ». On retrouve les gags de ce personnage renommé « Pastille» dans Pif-Gadget, en 1975. Pour ce même hebdomadaire, Martial créera aussi trois gags pour la série « Les Musclés », en 1984. Toujours plein d’énergie, il frappe aux rares portes encore ouvertes à la bande dessinée familiale et multiplie les créations : de nombreux récits complets, dont ceux du dévoué serviteur de Léonard de Vinci qu’est « Tutti Frutti », dans Tintin et Pistil (de 1976 à 1980) (3), « Tarek et Miloud » pour un projet de journal destiné aux jeunes Algériens qui se serait appelé Wafi (en 1977), des illustrations pour la rubrique « Allô Castors Juniors » dans Le Journal de Mickey (en 1978 et 1979), les gags muets de « Mister Foot » dans Footy (entre 1978 et 1982) ou de « Soldat Durand » dans T.A.M. (en 1984)… (4) ; sa dernière incursion en bandes dessinées étant une participation au Journal du Lombric de la SMITOM-LOMBRIC, syndicat ayant compétence pour la collecte et/ou le traitement des déchets ménagers sur le département de la Seine-et-Marne : un recueil de ces planches pédagogiques a été édité en 2005, sous la forme d’un album publicitaire. Pour rendre hommage à ce créateur populaire dont le talent n’a malheureusement pas assez été reconnu par les éditeurs et par les exégètes, l’encyclopédiste Patrick Gaumer va nous offrir, pendant les semaines à venir, une passionnante interview, complètement inédite, où Martial évoquera sa longue carrière, sans langue de bois. Elle avait été réalisée pour la collection Archives Goscinny qui devait, alors, se poursuivre chez Dupuis, au tout début des années 2000.